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Objectif Métropoles «Entrées de ville : ces franges devenues frontons d'un nouveau récit urbain»

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Longtemps réduites à de simples seuils fonctionnels, les entrées de ville offrent aujourd’hui un levier stratégique pour transformer la ville à partir de ses marges.

Clémence Bechu|Directrice Générale
Clémence Bechu

Entrées de ville : ces franges devenues frontons d’un nouveau récit urbain

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Dans sa chronique, Clémence Bechu propose son point de vue mais aussi de nouveaux modes de faire la ville pour s’adapter au changement climatique. Ici, il est question des entrées de ville, ces zones commerciales héritées d’un urbanisme devenu obsolète. 

Longtemps réduites à de simples seuils fonctionnels, les entrées de ville offrent aujourd’hui un levier stratégique pour transformer la ville à partir de ses marges. Entre tissu dense et périphérie, ces zones longtemps négligées peuvent devenir les pièces maîtresses d’une ville plus résiliente, plus désirable, et mieux connectée à son territoire. Les réinventer, c’est s’adapter au climat, mais aussi retisser les liens entre centre et franges.

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Les portes commerciales, un gisement stratégique à l’échelle nationale

La France compte plus de 3800 sites d’entrées de ville commerciales, représentant environ 80000 hectares, soit 7 fois la superficie de Paris, et un potentiel estimé à 1,6 million de logements.

Héritées de l’urbanisation de la fin du 20e siècle, ces zones sont aujourd’hui en crise: celle du modèle commercial linéaire, et celle d’un aménagement devenu obsolète face aux nouveaux usages. À la fois îlots de chaleur, zones imperméabilisées et territoires sous-exploités, ces espaces constituent pourtant un gisement foncier et programmatique exceptionnel pour accueillir de la ville durable : logements, équipements, mobilités décarbonées, espaces de nature…

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Du seuil au système : les portes changent de statut

À l’heure des transitions climatique, sociale et territoriale, les portes urbaines ne sont plus de simples lieux de passage.

Elles deviennent des espaces de réciprocité, de destination autant que de circulation, où la ville dialogue avec son environnement. Moins dépendantes de la voiture, plus inclusives et résilientes, elles inventent une autre manière d’entrer, ou de rester, en ville. Cette évolution est désormais portée à l’échelle nationale par le programme «Entrées de ville» de la Banque des Territoires. En 2023, Rollon Mouchel-Blaisot, alors directeur du programme Action Cœur de Ville, évoquait ces espaces comme une « nouvelle frontière » de l’aménagement, capables d’apporter des réponses concrètes aux enjeux de mobilités, de consommation et de cadre de vie. 

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Bordeaux en éclaireur : une consultation à forte valeur programmatique

Bordeaux Métropole a lancé à l’été 2025, une consultation internationale sur six «portes métropolitaines» situées autour de la rocade, la collectivité fait un pas décisif vers une stratégie de régénération urbaine à la fois pragmatique et visionnaire.

Cette initiative s’inscrit dans la continuité d’une expérience locale réussie: la transformation de la zone commerciale de Mérignac Soleil en quartier mixte, amorcée il y a une dizaine d’années, qui a démontré la capacité de ces espaces monofonctionnels à muter vers des lieux de vie intégrés, accessibles, et adaptés aux nouveaux usages.
La consultation bordelaise va bien au-delà du geste architectural. Elle cherche à construire une vision partagée pour chacun des sites, en associant urbanistes, architectes, experts et acteurs locaux autour d’un triptyque clair : désimperméabiliser, démobiliser, désartificialiser. Autrement dit : refaire de ces portes des lieux vivants, perméables, désirables, où la mixité fonctionnelle et la transition écologique se conjuguent à l’échelle métropolitaine. Dans son cahier des charges, la Métropole insiste sur la nécessité d’un récit renouvelé des seuils urbains, et d’une approche capable de concilier aménagement, adaptation climatique, logiques d’accessibilité et hospitalité territoriale. Une telle ambition impose de penser la porte comme un système en soi, et non comme une simple couture. Chaque équipe pluridisciplinaire devra ainsi proposer une stratégie évolutive pour faire de ces sites, aujourd’hui dominés par la voiture, la vacance foncière et la fragmentation, des catalyseurs de transformation pour l’ensemble du tissu urbain. La consultation bordelaise pourrait ainsi préfigurer un nouveau modèle opérationnel, articulant foncier en friche, mutation programmatique, et réponse concrète à l’urgence climatique.

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Le Grand Paris Express : un nouvel archipel de portes métropolitaines

Si l’on devait chercher un exemple contemporain de « portes métropolitaines» en train de se redessiner, le Grand Paris Express (GPE) en est sans doute l’illustration la plus puissante.

Avec la Ligne 15, le réseau de transport francilien bascule pour la première fois d’un système purement radial, centré sur Paris intra-muros, vers un système circulaire, reliant directement des communes périphériques qui, jusqu’alors, dialoguaient très peu entre elles. Chaque future gare du GPE devient ainsi bien plus qu’un simple point d’accès ferroviaire: elle se transforme en nouvelle porte d’entrée sur la métropole, à double sens. D’un côté, elle permet d’accéder plus facilement au centre historique, tout en désaturant les flux radiaux existants. De l’autre, elle ouvre un accès direct à un tissu métropolitain jusqu’ici fragmenté, révélant des potentiels locaux insoupçonnés (équipements, espaces naturels, zones d’activités, quartiers résidentiels). Ces villes-gares, souvent en frange, deviennent ainsi des lieux d’activation urbaine, capables de générer de nouveaux récits, de nouvelles centralités et de nouvelles formes d’usages. Elles incarnent la transition d’une métropole pensée en cercles concentriques vers une métropole polycentrique, plus résiliente et mieux connectée, pour une adaptation structurelle à l’évolution des modes de vie, des mobilités et, plus largement, aux défis climatiques.

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Franges de La Défense : catalyseurs d’une mutation plus large

Autre territoire emblématique: le quartier de La Défense. Bien qu’il ne constitue pas une commune en soit, ce morceau de métropole, partagé entre plusieurs villes, incarne une mutation profonde, avec l’ambition de devenir un campus de l’innovation et de la connaissance.

Et ce sont bien ses franges qui participent à cette transformation. Elles accueillent aujourd’hui logements, écoles, mobilités douces et espaces publics, préfigurant un quartier d’affaires plus mixte, plus humain. Le projet INSPIRE à Puteaux en est l’un des exemples : un laboratoire d’urbanité réconciliant les échelles et les usages. Partout en France, les franges urbaines deviennent des territoires d’invention. Qu’elles bordent une rocade, un périphérique ou une skyline, elles cristallisent les enjeux de la ville de demain: adaptation au climat, nouvelles mobilités, recyclage du foncier. Longtemps négligées, elles s’imposent désormais comme les frontons d’un récit urbain renouvelé, récit opérationnel et sensible, qui engage la ville dans une mutation systémique, par ses bords. Ces portes sont aussi des fenêtres ouvertes sur une métropole circulaire, inclusive et résiliente. Et sans doute l’un des grands chantiers de l’adaptation urbaine à venir.

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