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Nous sommes heureux d'avoir pu contribuer au dernier numéro FACTS de l'institut Veolia consacré à l'agriculture urbaine.
INSTITUT VEOLIA /// Facts Reports 2019
Recréer du lien entre Ville et nature par l’Architecture
Entretient avec Clémence et Anthony Bechu
L'effet combiné du changement climatique et de l'urbanisation massive a fait de la ville un écosystème vulnérable. Face à ce défi, l'architecture bioclimatique et l'urbanisme régénérateur offrent de nombreux outils, parmi lesquels l'agriculture urbaine, toujours plus valorisée dans un secteur immobilier qui prend de plus en plus en compte la « green value ». S'inscrivant dans
ce mouvement, l'agence Bechu & Associés travaille avec ses partenaires à la conception d'outils paramétriques au service du développement durable dans la mise en œuvre de projets architecturaux et urbanistiques. Elle fait appel à l'ingéniosité de la nature, à travers la bio-inspiration, pour concevoir des paysages qui naissent de la rencontre du climat et de la culture, et où la nature joue un rôle central pour retisser les liens entre ville et campagne.
L'agence Bechu & Associés s'attache tout particulièrement à intégrer le vivant à l'architecture pour recréer du lien entre ville et nature, notamment à travers le concept d'urbanisme régénérateur. Comment cela s'inscrit-il dans votre pratique de l'architecture, et quelle place pour l'agriculture urbaine dans cette démarche?
Anthony Bechu :Il est aujourd'hui couramment admis que la nature est créatrice de valeur pour l'immobilier, notamment à travers de nombreux labels (BREEAM, LEED, WELL building standard). La prise en compte de la valeur vertedes actifs immobiliers est à ce titre un signal très positif. En mars 2018, notre agence a signé au MIPIM (marché international des professionnels de l'immobilier), aux côtés d'une cinquantaine de professionnels du secteur, la charte BiodiverCity du Cl BI (Conseil International Biodiversité & Immobilier), qui engageà l'intégration du vivant dans tout projet architectural. La biodiversité peut être introduite dans le tissu urbain par des interventions ponctuelles sous une forme contemplative, à travers des espaces verts, friches et jardins, mais aussi en tant que nature productive, comme des serres sur les toits ou des potagers partagés. L’agriculture urbaine constitue en ce sens un outil remarquable au service de la résilience et de la durabilité des villes, à l'image des Parisculteurs, GreenSky ou encore des fermes de Gally dans les Yvelines, qui proposent un modèle de ferme spécialisée en périphérie des villes pour approvisionnerles citadins en fruits, légumes et fleurs produits localement. Parmi nos projets, la restauration de l'ancien garage du Banville (un immeuble que nous avons conçu il y a 30 ans!) inclura des toitures végétalisées ainsi qu'une serre sur la terrasse du dernier étage qui sera accessible au public et approvisionnera lerestaurant du rez-de-chaussée. Clémence Bechu : Les engagements de notre agence révèlent la prise de conscience, accélérée par le changement climatique,que Je lien à recoudre entre l'Homme et les écosystèmes naturels représente aujourd'hui une opportunité d'innover etde construire de nouveaux modèles de développement urbain.
« L'agriculture urbaine constitue un outil remarquable au service de la résilience et de la durabilité des villes »
Responsables à 60% du cha ngement climatique, les villes en subissent aujourd'hui les principaux effets et leurs corolaires sur les plans économiques, sociétaux et sanita ires. Afin d'accompagner les villes dans ces défis, YvesTourre, chercheur en climatologie à l'universitéde Columbia, et Laurent Husson, spécialistedu secteur aérospatial, ont lancé le projetClimate City, dont nous sommes partenaires.
Ce premier opérateur du climat urbain propose des outils aéroportés d'observation et de modélisation du climat entre 150 met 1 500 m au-dessus des villes. Cette approche comble les lacunes de l'analyse climatique actuelle: au niveau des villes, l'approche est le plus souvent purement météorologique, et les analyses à l'échelle de la planète menées notamment par les experts du GIEC ne fournissent pas d'outils aux décideurs urbains. Les données récoltées par Climate City permettent d'anticiper à l'échelle urbaine les îlots de chaleurs, les poches de pollution de l'air, les épisodes d'inondation, entre autres pour déterminer l'implantation pertinente d'espaces végétalisés, dans le cadre des Plans Climat des villes. Nous avons travaillé à la conception du centre de recherche qui hébergera cette initiative, et œuvrons pour le développement d'un urbanisme climatique. Notre démarche d'urbanisme régénérateur ne signifie pas seulement réintégrer la nature dans la ville, mais plus encore réintégrer la ville aux grands cycles de la nature. Comme beaucoup d'autres industries le font, urbanistes et architectes peuvent prendre exemple sur la manière circulaire dont la nature s'organise, en boucle, contrairement aux modes d'organisation linéaires que nous avons conçus, aussi bien dans le domaine de l'approvisionnement, de la gestion des déchets ou encore de l'énergie et du cycle de l'eau. Riche d'une multitude d'interactions positives, la nature est un formidable ingénieur, pourquoi ne pas l'imiter!
Votre approche consiste à prendre exemple sur la morphologie et les processus naturels. Pourriez-vous illustrer cette démarche de bio-inspiration par des exemples de projets architecturaux?
Clémence Bechu.: La bio-inspiration prend le vivant pour modèle afin de recréer un rapport à la nature par l'architecture. La bioinspiration se divise en deux champs: la biophilie d'une part et le biomimétisme d'autre part.
La biophilie consiste à intégrer de façon directe ou indirecte la nature dans les installations humaines pour produire du bien-être. C'est l'approche que nous avons suivie pour la rénovation de l'hôtel et centre de thalassothérapie Miramar à Arzon en Bretagne en 2015, pour lequel nous nous sommes inspirés des écosystèmes marins dans l'organisation de l'espace et le design intérieur. La biophilie trouve notamment des applications dans le design, par l'emploi de formes organiques, de matériaux et de couleurs naturels, dont les effets sur la qualité de vie sont scientifiquement prouvés.
D'autre part, le biomimétisme, conceptualisé par la biologiste américaine Janine Benyus, est une démarche résolument scientifique. Celle-ci consiste à prendre exemple sur les organismes et systèmes vivants, à partir de l'observation de leur morphologie et processus, pour développer des innovations à même de répondre aux défis écologiques contemporains.
A.B.: Pour la Tour D2 (2014}, nous avons travaillé à mi-chemin entre biophilie et biomimétisme, dans le cadre du renouveau du quartier de La Défense. L'exo structure alvéolaire qui porte la tour a été conçue sur le modèle organique du périoste de l'os et nous a permis d'économiser 30% de matière, pour une empreinte carbone réduite. Au sommet de la tour, à 171 mètres de hauteur, le« jardin des nuages,, fait de celle-ci une allégorie de l'arbre, et un îlot
urbain de biodiversité, puisque des oiseaux sont venus y faire leur nid. Ensuite, le biomimétisme nous a permis de construire des bâtiments doués d'excellentes performances énergétiques dans des régions à fortes contraintes climatiques. Pour le Skolkovo Innovation Center (2017} en Russie, l'organisation sociale des manchots nous a inspiré le plan de masse« en tortue,, du quartier hébergeant les familles des chercheurs. En travaillant avec des biologistes et avec l'appui des figures fractales3 de la nature, nous avons pu gagner SoC de température extérieure en plein hiver dans chacun des dix îlots circulaires.
Pour le projet de l'Université Polytechnique Mohamed VI actuellement en cours à Laâyoune au sud du Maroc, c'est l'observation des lignes du désert et la récolte de données climatiques qui nous ont permis de concevoir un bâtiment dont la température intérieure ne dépasse pas 26°C en plein été (sans climatisation, sauf pour l'amphithéâtre) et d'une passivité énergétique de 80 %. Nous avons également mis au point un système de récupération des eaux usées pour brumiser l'espace, en économie circulaire.
« Le biomimétisme nous a permis de construire des bâtiments doués d'excellentes performances énergétiques dans des régions à fortes contraintes climatiques »
C.B. : Ces projets prouvent la pertinence de l'approche biomimétique. Ils sont d'abord rendus possibles par des convictions partagées avec le maître d'ouvrage, qui finance l'opération, et surtout par une collaboration multidisciplinaire. C'est une œuvre commune réalisée avec des scientifiques, ingénieurs et des bureaux d'études spécialisés en environnement, structure et outils paramétriques. Pour chaque projet, nous mettons en place des équipes aux compétences complémentaires pour fixer ensemble des objectifs structurels, récupérer les données nécessaires et générer les algorithmes qui participent à façonner nos dessins. D'autres acteurs participent à faire connaître cette démarche auprès du grand public et des professionnels, comme Alain Renaudin, fondateur de Biomim'expo, évènement annuel relayant auprès du grand public et des industriels les initiatives prouvées en matière biomimétique, et dont nous sommes partenaires. Certains territoires se sont aussi emparés du biomimétisme pour penser leur développement, comme la région NouvelleAquitaine, particulièrement mobilisée sur les enjeux climatiques par son lien avec l'océan. À Biarritz, le cluster d'innovation Technocité accueillera un centre d'excellence en biomimétisme marin réunissant les chercheurs de I'IPREM (Institut des Sciences Analytiques et de Physico-Chimie pour l'Environnement et les Matériaux), une branche du CEEBIOS (Centre Européen d'Excellence en Biomimétisme de Senlis) et une pépinière d'entreprises. Celui-ci fait l'objet d'un concours architectural pour lequel nous avons été sélectionnés. Nous y avons répondu au travers d'une approche écosystémique qui s'inspire de la relation climat-océan, en nous appuyant sur l'expertise du climatologue Yves Tourre et de la biologiste spécialiste des abysses Françoise Gail!, pour concevoir un bâtiment régénérateur qui tende vers les exigences de la certification Living building Challenge (LBC). Cette certification, inédite en France, impose notamment 105% d'autosuffisance énergétique ainsi qu'une autonomie pour la gestion de la ressource en eau. Comme les ascidies filtrent l'eau de la mer, notre projet baptisé« Estran» filtre les eaux de la terre. Sa toiture« active »et« liquide » est un écosystème biomimétique à part entière qui s'intègre dans la trame bleue et verte de son environnement. Elle filtre et dépollue les eaux de son environnement (eaux de voieries, eaux de pluie, eaux usées) pour ses propres besoins et redonne à la nature des eaux purifiées dont elle n'a pas besoin. Le tout compose également un parcours pédagogique et une zone humide favorable à l'épanouissement de la biodiversité qu'elle accueille. À l'image de la nature, ce projet est avant tout un système qui rend des services à ses voisins et vice versa
N.B.:À la date de l'écriture de cet article, le concours était en plein process. Le lauréat aura été annoncé lors du G7 à Biarritz qui a eu lieu du 24 au 26 août.
Quel est le rôle à jouer, selon vous, de la ruralité et de l'agriculture pour retisser les liens entre ville et nature?
A. B.: Réconcilier ville et nature ne passe pas seulement par une démarche scientifique: nous cherchons également à réparer la fracture entre monde urbain et monde paysan, qui est un des éléments de la crise sociétale que nous connaissons aujourd'hui en Europe. Dans les pays émergents, l'urbanisation massive déracine des populations de leur mode d'organisation rural : elles doivent renoncer à leurs pratiques de vie pour s'intégrer à des espaces souvent dessinés sur des modèles urbanistiques américains. C'est le cas notamment en Afrique, où les urbanistes des mégalopoles ont bien souvent oublié toute référence au modèle social et culturel fondateur du village africain. Nous travaillons sur ces thématiques particulièrement en Chine, dans les villes-satellitess où nous cherchons à remettre le monde paysan au milieu de la ville et à recréer du lien entre les urbain~ et les ruraux, à travers des paysages et des lieux partagés. A Shenyang, chef-lieu de la province du Liaoning et centre économique et culturel du nord de la Chine, nous avons accompagné les réflexions des politiques quant à la conception du master plan d'une éco-cité représentant 10 km2. Pour ce grand projet de coopération si no-française, nous avons démontré l'importance d'une approche urbaine régénérative pour dépolluer les sites et redessiner un quartier urbain intégré à un paysage rural. Nous nous appuyons sur le modèle de la " ville Biogée »que nous avons développé autour de quatre principes : hyperconnectivité, mixité urbaine, gestion des énergies et gestion équilibrée des espaces. Un modèle idéal de ville dans lequel le monde agricole et les systèmes aquatiques occupent une place centrale. De plus, pour être durable la ville du futur ne peut faire table rase ni de son passé, ni de sa culture, y compris paysanne, elle doit aussi tenir compte de son histoire et de sa géographie. C'est le sens des projets que nous menons dans les villes médiévales de Pingyao (2008) et Putyan (en cours). À 800 kilomètres au sud-ouest de Pékin dans la province du Shanxi, nous avons conçu à Pingyao, une ville inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, des espaces publics reprenant le motif de la galerie, lieu de sociabilité et de transmission traditionnel chinois, et, en s'inspirant du Feng Shui, nous avons créé un parc traversé de canaux autour des murailles antiques, qui avaient été masquées par des installations industrielles. À Putyan, nous travaillons actuellement sur la mise en valeur des bassins de pisciculture urbaine, dans cette ville où l'équilibre rural/urbain a été préservé. Permettre à la ruralité de regagner les cœurs des villes, c'est pour nous une manière de redonner une place à chacun au milieu du village et de faire le lien entre histoire et modernité. L'agriculture urbaine, en réintégrant des espaces verts contemplatifs