Interview de Clémence Bechu pour Immoweek

Nous sommes en 2025, et depuis le début de l’année, il s’est passé beaucoup de choses, bien évidemment, avec l’agence Bechu & Associés. On peut peut-être s’intéresser d’abord aux chantiers, ceux qui viennent de se terminer ou qui sont en cours d’achèvement, avant d’aborder les projets en développement. Je pense notamment à un immeuble dont on parle beaucoup : Mondo. Vous y êtes pour beaucoup, évidemment.

Alors oui, tout à fait. L’année 2025 est effectivement riche en chantiers et en livraisons, ce qui marque l’aboutissement d’années déjà engagées de travail sur ces projets. Parmi eux, certains sont des opérations que nous avions déjà suivies auparavant, ce qui prolonge d’autant plus leur histoire. Mondo en fait partie. Ce projet a fait l’objet d’une réhabilitation importante ces dernières années, consistant en la fusion de deux bâtiments : un actif situé rue Pierre-Demours, historiquement appelé le Banville, et un autre, ancien siège de CBRE, rue de Courcelles. Nous avons donc réhabilité ces deux bâtiments pour les fusionner et ainsi obtenir plus de 30 000 m² de bureaux, récemment investis par Publicis France, qui a choisi d’y regrouper ses équipes et d’y installer son siège.

C’est un projet qui me tient particulièrement à cœur, car la partie du Banville, rue Pierre-Demours, me renvoie à une anecdote personnelle que je ne vous ai pas encore racontée. C’est un bâtiment dont je me souviens très bien, car il avait été inauguré quand j’avais dix ans. Il représentait à l’époque le premier grand chantier de notre père, Anthony Bechu, une surélévation d’un garage. L’opération avait alors été portée par ING. Aujourd’hui, c’est Gecina qui a racheté les deux actifs et les a fusionnés. Ce projet a été vraiment marquant dans notre vie familiale, notre père en parlait tellement qu’à l’occasion de ses quarante ans, lorsque j’avais dix ans, nous avions dit à notre mère : « Maman, il faut absolument que, pour l’anniversaire surprise qu’on organise à papa, on demande au pâtissier de faire un gâteau sur lequel on apposera la façade du Banville ! ». Donc voilà, en 1991, nous avons mangé la façade du Banville, et plus tard, nous en avons réhabilité l’ensemble. La boucle est bouclée.

Mondo est donc l’un des immeubles phares pour votre agence cette année, mais il n’y a pas que celui-ci.

Dans la même famille de projets dits « phœnix », qui participent à la reconstruction de la ville sur la ville et s’inscrivent dans l’histoire héritée de l’agence, nous avons Equilis, inauguré il y a peu. Equilis est un ensemble de bureaux, propriété de PIMCO, représentant 27 000 m². Nous l’avons entièrement repensé afin de le réintégrer dans le tissu urbain. Un important travail a été mené sur le réemploi, puisque près de 140 tonnes de matériaux ont été réutilisées in situ, avec également un effort particulier sur la gestion des déchets. Nous avons aussi travaillé sur la renaturation des façades, des patios intérieurs et de la toiture.

Le réemploi ou la renaturation sont devenus un peu la norme aujourd’hui. Ce sont des démarches qui font partie de l’ADN d’un architecte ?

Oui, et ce sont des contraintes qui stimulent la créativité. C’est devenu la norme, mais aussi un besoin universel, car nous devons désormais considérer les villes comme des gisements de matières premières à recycler et à réinventer. Cela s’inscrit pleinement dans une démarche d’économie circulaire, qui constitue sans doute l’une des clés de notre évolution industrielle à venir.

Deux beaux projets qui font aujourd’hui de belles cartes de visite pour l’agence Bechu & Associés. Y a-t-il également des chantiers en cours ?

Oui, parmi nos chantiers en cours, il y a notamment Inspire, un autre immeuble de bureaux imaginé avec les équipes de BNP Paribas Real Estate. Il est situé sur le territoire de La Défense, côté Puteaux, et constitue le premier ensemble construit en ossature bois du quartier. C’est un projet qui participe clairement au renouveau de ce territoire sur lequel de nombreux acteurs travaillent actuellement. Ce secteur, en lien étroit avec la ville de Puteaux et son centre-village, présente un potentiel de transformation très fort. Nous y avons dessiné un bâtiment aux formes et volumes organiques, doté d’une entrée largement ouverte vers la ville, afin de favoriser son intégration urbaine. C’est l’un des projets emblématiques du moment sur ce territoire.

Le fait que ce soit en lisière, est-ce l’un des aspects qui vous ont intéressée dans ce projet ?

Oui, tout à fait. Quand on parle de La Défense, on pense souvent uniquement aux bureaux, alors qu’en réalité, il y a beaucoup de vie sur ce territoire. D’ailleurs, il y a de nombreuses écoles, mais elles n’accueillent pas forcément les étudiants « classiques » auxquels on pense. C’est un petit chiffre que j’ai en tête, mais La Défense compte environ 300 000 étudiants, dont 70 000 étudiants « classiques » et près de 230 000 professionnels en formation continue.

Sur ce secteur précis, nous avons pu travailler en lien avec une école primaire voisine, que nous avons véritablement associée au projet. Nous sommes allés leur présenter la démarche, expliquer ses bénéfices environnementaux, mais aussi les écouter sur leurs envies et leurs besoins. Le besoin de nature, notamment, est ressorti très fortement, une évidence sans doute, mais l’entendre formulé par les enfants rend les choses particulièrement touchantes. C’est une belle satisfaction de pouvoir répondre à leurs attentes à travers un projet qui nourrit leurs rêves.

Le chantier Inspire est donc en cours, quand sera-t-il livré ?

Inspire sera livré d’ici la fin de l’année. C’est Alliance Trade qui s’y installera pour y établir son siège, après avoir acquis l’actif dès le début du chantier.

D’autres chantiers en cours ?

Oui, un autre chantier majeur à Paris, la réhabilitation de la tour Cristal, à Beaugrenelle. Nous y développons un projet baptisé The Circle, une transformation passionnante d’une tour de bureaux qui restera dédiée à cet usage, mais dont le socle sera largement rouvert à la ville. Un important travail de renaturation est également prévu, notamment sur la toiture.

L’un des enjeux majeurs de la conception architecturale a été de démontrer que le système mis en œuvre permettrait d’atteindre des performances thermiques et énergétiques très ambitieuses. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : nous passons d’une consommation de 450 kWh par mètre carré et par an à environ 80. Nous aurons ainsi divisé la consommation énergétique par six, faisant de cette tour la première à répondre pleinement au Plan Climat de la Ville de Paris.

Nous sommes donc vraiment dans du concret, les choses avancent et se réalisent. On parle souvent de projets, mais là, il y a des résultats. The Circle sera livré quand ?

Courant 2026.

Nous avons fait un petit tour d’horizon des opérations livrées, des chantiers en cours actuellement, j’imagine qu’il y a, bien sûr, aussi de nouveaux projets chez Bechu & Associés.

Oui, beaucoup ! Un projet n’est pas toujours dans la même phase de vie. Il y a toutes les études de faisabilité, très en amont, que nous menons en parallèle des autres projets afin d’assurer un portefeuille solide pour demain et d’aider les villes à réfléchir à l’avenir de leurs territoires. D’autres projets sont en phase d’étude, avec ces fameuses étapes de « stop and go » que tout le monde connaît, et qui demandent actuellement une grande agilité.

Et puis, il y a la satisfaction des concours remportés. Nous participons à beaucoup de concours, autant que possible, car c’est toujours extrêmement stimulant intellectuellement ; cela nourrit notre recherche et développement, tout comme le travail à l’international sur des territoires aux contextes climatiques ou socio-économiques différents. Sur dix concours auxquels nous participons, nous en remportons un, à peine. Mais 2025 est un millésime exceptionnel, nous avons gagné trois beaux concours.

Le premier, c’est celui du futur campus des équipes d’Airbus Defence and Space à Montigny-le-Bretonneux. Ce concours s’est déroulé en deux temps, après une première phase sur un autre site il y a quelques années, finalement arrêtée, où nous étions déjà bien positionnés. Nous avons accepté de rejouer avec un excellent maître d’ouvrage, GA, en association avec nos confrères de chez Kardham, et nous avons eu la joie d’apprendre, au printemps dernier, que nous l’avions remporté.

Le deuxième concours concerne la réhabilitation des tours Mercuriales à Bagnolet, bien connues du grand public. Après des années de réflexion et de changements de maîtres d’ouvrage, elles vont enfin trouver une seconde vie dans une transformation ambitieuse avec une réouverture du socle en un lieu de promenade, de services et de commerces, contribuant à régénérer tout le quartier, et la transformation des tours en résidences étudiantes et résidences gérées. Sur ce projet, nous adoptons une approche particulièrement respectueuse de l’identité des tours, patrimoine emblématique de la skyline parisienne. Nous intervenons avec délicatesse, presque comme en acupuncture, pour améliorer les points essentiels sans altérer leur caractère.

Enfin, le troisième concours gagné, plus modeste mais très symbolique, nous tient particulièrement à cœur, la réhabilitation de la gare Lisch à Asnières. Ce bâtiment historique, au passé fascinant, sera restauré dans son clos-couvert afin de pouvoir accueillir bientôt un opérateur proposant un concept hybride alliant sport, culture et petite restauration. Pour nos équipes spécialisées dans l’architecture du patrimoine, c’est une grande fierté.

Qui dit réhabilitation, dit que vous allez donc conserver l’historique de la gare Lisch ?

Oui, tout à fait. Cette gare, lorsqu’elle était encore en activité, a d’abord été conçue et construite par l’architecte Lisch en 1878, sur le Champ-de-Mars, à l’occasion de l’Exposition universelle de l’époque. Elle a même servi une seconde fois pour une autre Exposition universelle, avant que son activité ne cesse à la suite du prolongement du chemin de fer jusqu’à la gare Montparnasse.

Parallèlement, à Asnières, un événement climatique, un cyclone, a détruit les ateliers de la compagnie de chemin de fer de l’Ouest, il a alors été décidé de démonter et déplacer la gare pour la réinstaller à Asnières, afin qu’elle abrite cette nouvelle fonction. Elle a ensuite connu une vie mouvementée tout au long du XXᵉ siècle, ponctuée d’occupations qui n’étaient pas toujours très respectueuses du lieu. C’est pourquoi la ville d’Asnières s’est engagée pour la protéger et a obtenu son inscription au titre des monuments historiques dans les années 1980.

Aujourd’hui, c’est une nouvelle période qui s’ouvre pour la gare, elle avait été retenue dans le cadre du concours « Réinventer la Métropole du Grand Paris », mais finalement, le projet n’a pas abouti. La Ville d’Asnières a alors choisi de reprendre la main en rachetant la gare et en lançant ce nouveau concours pour en faire un lieu de vie dynamique, avec de nouveaux services pour la ville, d’autant plus qu’elle se situe juste à côté de la gare de Bois-Colombes, future station de la ligne 15 du Grand Paris Express.

Félicitations pour toutes ces belles réalisations, passées et à venir, avec votre agence Bechu & Associés. Pour conclure, Clémence, pourriez-vous nous parler de l’identité de Bechu & Associés, qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents ? Quelle est votre approche, votre méthode, vos valeurs ?

Il y a plusieurs choses. D’abord, il y a notre histoire familiale, j’incarne la quatrième génération, avec ma sœur Aliénor. C’est assez rare pour être souligné, depuis un peu plus de cent ans, mon arrière-grand-père, ingénieur, avait été repéré dans les tranchées de la Première Guerre mondiale par des architectes séduits par la qualité de ses dessins d’exécution, qui lui ont dit : « Dès que la guerre sera finie, viens travailler avec nous, nous allons te former. » Puis, il y a eu notre père Anthony, et aujourd’hui nous poursuivons cette histoire familiale.

Ce qui nous différencie, c’est cette capacité à intervenir à toutes les échelles, de l’urbain à l’aménagement intérieur. Nous ne sommes pas spécialisés sur un seul type d’actif, nous savons travailler différentes typologies, avec la particularité d’avoir une équipe spécialisée dans la valorisation du patrimoine. Cela nous donne des atouts essentiels pour traiter les enjeux de la ville sur la ville, de la mixité et de l’hybridation des usages. C’est aussi la volonté de ne pas trop grandir, comme le disent certains, il est facile de grossir, mais plus difficile de maigrir ! Garder une taille humaine, familiale, nous permet de traiter chaque projet de façon spécifique, de définir des concepts forts, des histoires à raconter ensemble.

Enfin, nous restons fidèles à une phrase qui nous guide, quelle que soit l’échelle ou le sujet du projet : « Pour être durable, un projet doit naître de ses racines, et chacun de nos choix doit être guidé par la responsabilité que nous avons envers le vivant. »