Nouvelle rubrique Objectif Métropoles « Vers une IA plus circulaire : des solutions pour les territoires »
« L’IA générative actuelle est surtout un gouffre à eau, à électricité, et à ressources naturelles. Jusqu’à trois bouteilles d’eau pour générer cent mots. Face à ces constats, les collectivités locales ont un rôle décisif à jouer. Elles peuvent, dès maintenant, activer plusieurs leviers pour rationaliser et circulariser les usages de l’IA. »

Vers une IA plus circulaire : des solutions pour les territoires

Dans sa chronique, Clémence Bechu propose son point de vue mais aussi de nouveaux modes de faire la ville pour s’adapter au changement climatique. Ici, il est question de l’intelligence artificielle et du rôle des collectivités territoriales pour rationaliser les usages.
Si renoncer à l’intelligence artificielle n’apparaît plus réaliste, persister dans un modèle hypercentralisé, énergivore et peu adapté aux besoins réels de nos territoires serait une impasse. Loin des fantasmes de toute-puissance technologique, un nouveau cap se dessine : celui d’une IA circulaire, frugale et territorialisée. Une IA qui s’optimise, s’éduque, se spécialise, que l’on apprivoise plutôt que de la subir.

Sortir des mythes, revenir aux usages
À contre-courant des discours triomphalistes, Luc Julia, co-créateur de Siri et aujourd’hui directeur scientifique de Renault, livre une analyse percutante dans son dernier ouvrage IA génératives, pas créatives.
Il y démonte les illusions entretenues autour de l’Intelligence Artificielle Générale (AGI), ce supposé super-cerveau capable de tout faire mieux que l’humain. Pour lui, ce fantasme relève moins de la science que du storytelling marketing. «L’AGI, c’est Dieu», ironise-t-il. Et pendant que certains rêvent de machines pensantes, n’oublions pas que l’IA générative actuelle est surtout un gouffre à eau, à électricité, et à ressources naturelles. Jusqu’à trois bouteilles d’eau pour générer cent mots. Mais ce n’est pas l’IA en soi qui est en cause. C’est l’usage qu’on en fait. L’inférence – le simple fait de générer des réponses – coûte parfois plus cher que l’entraînement des modèles. Et dans bien des cas, des IA classiques ou des systèmes experts peu consommateurs suffiraient largement. Sam Altman, CEO d’OpenAI, a lui-même reconnu l’impact environnemental et financier des interactions avec l’IA, même pour des réponses apparemment simples, déclarant que les phrases de politesse comme «merci » ou « s’il vous plaît » coûtent à l’entreprise «des dizaines de millions de dollars » en puissance de calcul et en électricité supplémentaires. On frôle l’absurde quand la politesse devient un coût énergétique mesurable. Pour Luc Julia, l’avenir est ailleurs : dans la multiplication de petits modèles ultra-spécialisés, conçus pour des tâches utiles, locales et sobres. Des modèles que la France et l’Europe sont bien placées pour développer, à condition de miser sur la justesse plutôt que sur la puissance brute.
Les territoires peuvent (et doivent) montrer l’exemple
Ce changement de paradigme n’est plus théorique. Nvidia a récemment annoncé de nouveaux processeurs graphiques capables de traiter des tâches d’IA directement dans les ordinateurs, sans passer par d’immenses data centers.
Moins de latence, moins d’énergie, plus de maîtrise locale. Une IA embarquée, optimisée pour le traitement contextuel, qui marque une rupture salutaire avec le modèle dévorant de l’IA générative universelle. C’est dans cette direction que s’invente une intelligence numérique compatible avec les limites planétaires. Face à ces constats, les collectivités locales ont un rôle décisif à jouer. Elles peuvent, dès maintenant, activer plusieurs leviers pour rationaliser et circulariser les usages de l’IA. Comme favoriser l’économie circulaire du numérique en reconditionnant, réparant ou mutualisant leurs équipements informatiques. Elles peuvent aussi soutenir l’émergence de data centers locaux à faible impact, alimentés par des énergies renouvelables et intégrés dans la planification urbaine. Aussi, les collectivités ont un rôle à jouer en matière d’éducation : élus, agents, habitants doivent être sensibilisés à l’impact environnemental des usages numériques.
IA et transition énergétique : catalyseur sous conditions
L’un des domaines où l’IA peut véritablement accélérer la transition écologique est celui de l’énergie.
De plus en plus complexe, le secteur nécessite des arbitrages dynamiques, basés sur une multiplicité de facteurs (ressources locales, réglementation, volatilité des prix). L’AIoT – l’intelligence artificielle couplée aux objets connectés – permet aujourd’hui d’optimiser le triptyque production / consommation / stockage à l’échelle d’un quartier, d’un bâtiment, ou d’un territoire. Grâce à des algorithmes avancés, l’IA peut aider à modéliser des choix énergétiques durables en phase de conception ou même adapter les consommations aux ressources disponibles, en intégrant les contraintes locales. C’est une autre manière de concevoir l’aménagement du territoire : plus agile, plus contextualisée, plus résiliente.
L’intelligence énergétique sur le terrain
Des spécialistes de l’intelligence énergétique des territoires apparaissent, comme la société EMBIX.
Celle-ci développe des algorithmes d’optimisation complexes – recuit simulé, algorithmes génétiques, réseaux neuronaux – pour gérer de manière fine la production, le stockage et la consommation d’énergie. Sur le projet Paris Batignolles, EMBIX a travaillé à l’arbitrage énergétique entre géothermie locale et réseau de chaleur urbain. À Lyon Sollys, elle a contribué à modéliser l’équilibre entre cogénération biogaz et réseau existant. Elle accompagne également le bailleur Polylogis dans des projets photovoltaïques suivant une logique de valorisation intelligente de la ressource. Autant de cas qui démontrent qu’une IA
bien pensée et bien ciblée permet d’économiser des ressources, au lieu d’en gaspiller.
Apprivoiser l’intelligence
Loin d’être une technologie de rupture incontrôlable, l’IA ne doit pas fonctionner en dehors des réalités écologiques, mais s’inscrire dans un usage raisonné des ressources, aligné avec les objectifs environnementaux de nos territoires.
Les collectivités, en tant qu’acteurs de proximité, peuvent et doivent en être les pionnières. Le choix qui s’offre à nous n’est pas entre l’IA et la sobriété. C’est celui d’une intelligence utile, raisonnée, territoriale. Et pourquoi pas, une IA à la française : sobre, élégante, efficace.