Reconstruction x Clémence Bechu
Construction
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Mon parcours vers l'architecture et l'urbanisme durable est, on peut le dire assez atypique. Il s’est forgé d’expériences diversifiées, parfois au-delà des frontières françaises, qui m’ont guidé vers mes rôles actuels.
Initialement attirée par la médecine, ma curiosité m'a poussée vers d'autres horizons. En effet après une année de médecine, je décide de me réorienter et obtiens quelques années plus tard un Master en finance à Paris-Dauphine. Je m’envole pour la Chine ou je passe deux ans pour travailler sur des initiatives liées à la transformation urbaine de Beijing pour les JO 2008 au sein de l’agence Bechu.
De retour en France, je suis recrutée par Euro RSCG C&O pour qui je travaille sur des projets environnementaux, puis je décide de compléter ma formation avec un Master spécialisé en management de projets internationaux à l'ESCP.
J’intègre alors Capgemini Consulting en tant que consultante en stratégie banque-assurance. Deux ans plus tard, mon esprit entrepreneurial me conduit à cofonder WineSitting en 2009, une entreprise de logistique du vin en Île-de-France.
Finalement, en 2014, je rejoins l'agence familiale Bechu & Associés, pour ce que je pensais n’être qu’une mission de trois ans et depuis, je ne suis jamais repartie.
Vous coordonnez le développement stratégique de Bechu & Associés depuis plusieurs années, quels étaient vos objectifs personnels au début de cette prise de poste ? Sont-ils remplis ?
En rejoignant Bechu & Associés en 2014, mon objectif était de repositionner l'agence et de préparer son avenir.
N'étant pas architecte, je ne m’imaginais alors pas la diriger. Puis j'ai réalisé que non seulement l’architecture est une aventure familiale avec laquelle j’ai grandi et dans laquelle je me suis toujours impliquée. Mais surtout, que mon expérience extérieure me permettrait d’apporter à l’agence une perspective fraîche et nouvelle, au service d’une vision plus engagée, mais toujours, basée sur le talent et l’expérience qui a été cultivée pendant des années par mon père et ses partenaires.
Si aujourd’hui, je co-dirige l’agence avec mon père, ma sœur et nos associés, je suis particulièrement fière d’avoir pu la repositionner comme un acteur clé de la transition écologique dans le secteur de l’immobilier.
Mon rôle dans son développement fait d’autant plus sens qu’il me permet de continuer à entreprendre et à apprendre, à travers des rencontres et des collaborations avec des start-ups innovantes, mais aussi de faire vivre mes passions pour la science, l’innovation, et la transition environnementale.
Quel est selon vous le rôle de l’architecture et de l’urbanisme aujourd’hui ?
Nous sommes confrontés plus que jamais à des limites planétaires et à une conscience écologique croissante. L'architecture et l'urbanisme doivent jouer un rôle de leadership et être une solution par la création de villes capables de soutenir la vie humaine tout en préservant les écosystèmes.
Notre rôle est d'aider les humains à se reconnecter au vivant, à comprendre leur interdépendance avec l'environnement. Nous devons :
- Concevoir des villes qui prennent soin de leurs habitants, en intégrant des réflexions autour de la santé (physique, sociale, mentale...) dans chaque projet.
- Rendre les villes « comestibles », en repensant le lien entre alimentation et urbanisation. L’alimentation doit participer à la transformation de la morphologie des villes.
- Favoriser l'économie circulaire, en réintégrant les villes dans les cycles naturels du vivant via l'innovation biomimétique.
En bref, notre mission est de protéger les Hommes en les aidant à protéger la Terre, pour qu'elle les protège en retour. Pour reprendre les mots du Commandant Cousteau : “On aime ce qui nous a émerveillé, et on protège ce que l'on aime”. Nous devons susciter l'émerveillement pour notre environnement, afin d'encourager sa protection.

Mon expérience extérieure me permettrait d’apporter à l’agence une perspective fraîche et nouvelle, au service d’une vision plus engagée.

Déconstruction
Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels les métiers de l'architecture et de l'urbanisme sont actuellement confrontés en termes de durabilité et d'impact environnemental ?
Le climat se positionne comme la clé de voûte des défis urbains contemporains, imposant à l'architecture et à l'urbanisme deux priorités essentielles : l'adaptation au changement climatique et la réduction de son accélération. Cela requiert de nos métiers, une collaboration accrue avec la science pour intégrer les données climatiques dans la conception urbaine. The Climate Company fait partie pour nous (Bechu & Associés) de ces partenaires clé.
Les défis auxquels nous faisons face sont d’une part techniques, avec des enjeux comme la réduction de l'empreinte carbone, des matériaux de construction, l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments, la gestion durable de l'eau, la conception bioclimatique et la résilience aux changements climatiques. De l’autre, sociétaux, nos projets doivent créer de l’engagement, pour devenir réalistes. L'implication des citoyens dans les projets urbains, est donc cruciale.
Le temps reste également un défi important avec une véritable nécessité à repenser les processus linéaires et en silo pour favoriser une approche circulaire afin de favoriser une conception bien pensée dès le départ. Cela représente un investissement rentable pour réduire l'empreinte environnementale des projets.
Comment votre agence, Bechu & Associés, intègre-t-elle les principes de durabilité et de respect de l'environnement dans la conception de ses projets ?
L’une des choses qui m’a frappée lorsque je suis arrivée à l’agence en 2014, était de voir la manière dont les règlements de concours étaient rédigés quant à la manière dont nous devions présenter nos projets, en « millefeuilles » : d’abord l’architecture, puis le paysage, et enfin la stratégie environnementale. Trois éléments qui en réalité doivent former un tout pour rendre un projet à haute performance durable. Notre approche est à l’opposé de cela, car nous combinons ces sujets dès le démarrage de tout projet. L’architecte-urbaniste est en réalité un compositeur. La métaphore entre architecte et musicien est d’ailleurs souvent empruntée...
« Pour être durable, un projet doit naître de ses racines, et chacun de nos choix, guidé par la responsabilité que nous avons envers le vivant. » Cette phrase clé pour notre agence, comme une raison d’être, définit tout à fait notre approche durable, quel que soit le projet. Elle oriente l’ensemble de nos réflexions et favorise une approche toujours contextuelle des lieux. Nous nous engageons ainsi à respecter et à valoriser l’histoire, tout en protégeant l’écosystème dans lequel on s’insère. Elle sous-entend par ailleurs toute l’humilité qu’il faut toujours y mettre. Car en plus du respect d’un lieu, il y a le respect des autres. Un projet ne se compose pas seul, mais à plusieurs. C’est une juxtaposition de talents et de compétences au service d’un but commun.
Quelle place doit occuper selon vous le réemploi dans la conception des projets immobiliers ?
Le réemploi est un impondérable de l’économie globalement circulaire vers laquelle notre société doit tendre. Ce constat est simple quand on sait que le secteur du bâtiment génère environ 46 millions de tonnes de déchets par an, dont plus de 85 % provient des travaux de déconstruction et de réhabilitation (données de la FFB).
Favoriser le réemploi est une manière de contribuer à la décarbonation du secteur du bâtiment, à la préservation des ressources naturelles ou encore à la réduction des déchets. Je pense cependant qu’il est important de faire la part entre « réemploi », « réutilisation » et « recyclage ». En effet, on ne peut pas toujours réemployer, et les ”cousins” du réemploi offrent des alternatives également vertueuses.
Cette pratique a longtemps fait face à de nombreux obstacles, en particulier sur le plan économique, mais aussi réglementaire. Le réemploi de matériaux coûte par exemple souvent plus cher, et fait face à des normes assez rigides. Heureusement, la tendance est à l'évolution, avec des incitations financières et fiscales, des innovations technologiques et des dynamiques de marché le favorisant progressivement.
Notre projet “Equilis” à Issy-les-Moulineaux, est un exemple concret où 53 tonnes de déchets ont été économisées grâce au réemploi des menuiseries, ou par le recyclage des céramiques historiques en terrazzo pour le sol. L’engagement et l’investissement des différentes parties impliquées et leur collaboration a été essentielle, notamment le maitre d’ouvrage, Pimco.
Réussir à favoriser le réemploi dès la conception des projets immobiliers permet au-delà de répondre aux enjeux environnementaux actuels de faire preuve de créativité, d’autant plus dans nos métiers.
Quel rôle va jouer selon vous la réhabilitation dans le futur de l’urbanisation de nos territoires, et pourquoi ? Comment le cycle de vie des bâtiments, pourrait-il en être impacté ?
La réhabilitation est un exercice passionnant qui nous permet de réinventer nos villes et qui jouera un rôle central dans le futur de l'urbanisation de nos territoires en permettant de limiter l'étalement urbain, de protéger les sols et d'assurer une densification la plus “douce” possible de nos villes. Elle permet également de respecter l'histoire d'un patrimoine, de rénover en recyclant, de régénérer pour réinsérer le vivant et ainsi réduire l'impact sur l'avenir.
Ces opérations n’ont pas à pâlir devant de la construction neuve, surtout quand on considère leur impact positif sur l’addition carbone et les solutions qu’elles apportent aux enjeux énergétiques et de décarbonation. Elles s’inscrivent totalement dans une démarche d’économie circulaire pour impacter positivement le cycle de vie des bâtiments en permettant :
- De diminuer le prélèvement des ressources en privilégiant des matériaux durables peu carbonés, comme la pierre, le bois, la chaux et les isolants biosourcés,
- De réduire la production de déchets et les émissions carbonées,
- D’allonger la durée d'usage,
- De favoriser le réemploi, la réparation et le recyclage des matériaux
En favorisant la renaturation, la biodiversité, l'optimisation de la qualité de vie des usagers et la neutralité carbone, la réhabilitation des bâtiments contribue à rendre nos villes plus attractives, résilientes et durables pour l'avenir.
Quel est selon vous le rôle et l’intérêt des certifications dans les projets immobilier aujourd'hui. Pouvez-vous citer une certification qui est aujourd’hui selon vous une véritable valeur ajoutée à un projet et un exemple de projet qui illustre celle-ci ?
Conçues pour valoriser certaines qualités spécifiques et intrinsèques aux projets immobiliers, les certifications jouent un rôle important en définissant des ambitions qualitatives, environnementales et de sécurité, et en valorisant financièrement les investisseurs.
Leur popularisation permet par ailleurs de faire monter le niveau d’ambition du marché et donc aide à améliorer l’impact positif des projets, jouant même un rôle fédérateur entre maîtrise d’ouvrage et maitrise d’œuvre.
Cependant, la diversité des labels peut rendre leur lisibilité complexe et il est essentiel de ne pas perdre de vue les objectifs finaux. Entre labels nationaux et internationaux, dédiés à différentes typologies de projets, ou consacrés à des thèmes spécifiques, biodiversité, qualité de vie … le risque en les recherchant, est de tomber dans le piège de définir un objectif de label pour le label, et non pas pour le résultat qu’on attend. Le label doit rester un moyen pour atteindre des objectifs fixés, eux mêmes devant être considérés comme un minimum au vue de la croissance des enjeux.
Un exemple de Label que je trouve particulièrement intéressant, car il engage à définir une vision holistique d’un projet partagée par toutes ses parties prenantes est le Living Building Challenge (LBC). Il s’agit d’une des certifications les plus ambitieuses et rigoureuses dans le domaine de la construction durable. Elle propose une approche globale couvrant tous les aspects de la construction durable au travers de 10 pétales dont : l’énergie, l’eau, les matériaux, mais aussi l’équité et la beauté. Un projet de l’agence illustrant cette certification et son ambition de créer des bâtiments ayant un impact positif sur l'environnement et la société est le centre d'excellence en biomimétisme marin "Estran" à Biarritz, où l'eau a été utilisée comme une matière à part entière et pour lequel le bâtiment a été conçu pour filtrer les eaux de la terre.

Favoriser le réemploi est une manière de contribuer à la décarbonation du secteur du bâtiment, à la préservation des ressources naturelles ou encore à la réduction des déchets.

Reconstruction
Quel rôle l’Architecture peut-elle jouer dans la prise de conscience des enjeux du mieux construire ?
Les bâtiments sont une composante essentielle de la ville durable. En tant qu’architecte, nous avons un rôle majeur à jouer en proposant des techniques et matériaux respectueux de l’environnement, et en concevant des bâtiments et des quartiers dont la consommation énergétique est réduite, qui soient par ailleurs capables de s’adapter à un environnement qui change. L’avenir de notre urbanité est intimement corrélé à la destinée de la nature. Nous devons l’observer, apprendre, de son fonctionnement afin d’en avoir une meilleure appréhension et de mieux l’intégrer aux cycles du vivant, d'où la valeur du biomimétisme.
Pendant, longtemps, nous n’avons pas vu pas su amorcer les changements nécessaires, d’abord parce que nous n’avions pas conscience, ensuite il y a eu la prise de conscience, mais avec une sidération qui ne faisait pas naître de solution. Heureusement, aujourd’hui, et notamment grâce à la crise sanitaire qui aura eu pour effet positif d’éveiller les consciences et d’accélérer des tendances et les mentalités, doublée de l’arrivée d’une nouvelle génération sur le marché, nos schémas actuels évoluent.
Toutefois, nous devons réussir à faire des choix pertinents et efficaces, tout simplement prioriser et adapter face aux pléthores de solutions qui continuent encore à émerger. Nous avons besoin de nous équiper d’outils d’aide à la décision. Nous avons besoin de créer plus de liens entre la science et la réalité quotidienne pour choisir, arbitrer et évoluer, afin de ne pas céder à la mode de fausses bonnes idées, et de limiter la perte d’un temps qui nous est déjà compté.
Au-delà de solutions proprement techniques, il y a donc déjà des automatismes éprouvés et applicables systématiquement pour entrer ensemble dans ce nouveau paradigme.
- Participer à la reconstruction de la ville sur la ville. Nous devons réfléchir le cycle de vie du bâtiment autrement, pour lui permettre de pouvoir se transformer et servir in fine de nouveaux besoins. C’est par exemple, permettre au bureau de devenir du logement demain, ou pourquoi pas une école.
- La ville du quart d’heure est un autre bon « fil rouge » en matière de fabrique urbaine à toute échelle, car il permet de créer des sous-unités de vie dans la ville, au sein desquelles pouvoir à la fois habiter, travailler, s’épanouir, apprendre, échanger,…
- Le biomimétisme qui s’inscrit dans une démarche plus globale « bio-inspirée », constitue un outil d’innovation ultra performant à même de structurer pleinement ce nouveau modèle de ville recherché. On arrive ainsi à une économie de matériaux, un allègement des structures, une ventilation passive, un confort thermique, à une meilleure gestion du cycle de l’eau… Mais aussi à une meilleure hybridation des usages. Les réponses sont multiples pour s’orienter vers une empreinte positive de l’habitat et de quartiers entiers.
Le changement climatique nous invite à revenir au bon sens des anciens, dont l’architecture était finalement une forme d’art destiné à construire des climats au sein d’habitats composant avec leur environnement. Voilà donc sans doute notre mission : redonner à l’architecture sa finalité climatique.
Quel rôle voyez-vous Bechu & Associés prendre vis-à-vis des enjeux climatiques dans les décennies à venir ?
Mon souhait est de continuer à évoluer en mode laboratoire de R&D, en cultivant toujours et encore plus les liens avec la science, pour développer de nouveaux outils pleinement appropriables par l’ensemble de nos équipes, à même de servir pleinement l’ensemble de nos projets. Aujourd’hui même si l’envie de toujours faire mieux est là, les différents freins évoqués en début d’interview font que certains de nos collaborateurs sont parfois déçus de la tournure qu’ont pris certains projets, c’est-à-dire avec un niveau d’ambition dégradé en fin de projet. On m’a d’ailleurs fait la réflexion l’autre jour, comme quoi tous les projets développés à l’agence n’avaient pas le même niveau d’innovation environnementale, et s’il ne fallait pas pour cela choisir nos projets, pour être pleinement raccord avec ce que l’on affirme. J’ai répliqué qu’au-delà du fait que le niveau d’ambition environnementale global de nos projets se soit déjà sacrément amélioré, compte tenu d’une prise de conscience du marché, de réglementations contraignantes qui dopent celle-ci, et d’attentes consommateurs elles-mêmes en évolution, je pouvais répondre à la question de deux manières.
Soit on se positionne comme une agence ayant déjà tout compris et n’ayant plus rien à apprendre, qui va choisir les projets correspondants à un niveau d’ambition très élevé doté de tous les moyens qu’il faut pour aller au bout (financiers, du temps, une facilité d’exécution sociale et politique, ...). En quelques sortes des moutons à 5 pattes qu’il faudrait réussir à trouver ! Et qui si tel était le cas, étant donné que leur rareté, nécessiterait de réduire drastiquement les équipes pour maintenir un équilibre économique à flot, avec le risque de véhiculer un message très déconnecté de nos valeurs.
Soit on garde le cap fixé : celui d’être un acteur moteur de la transition climatique de notre marché, en se disant que chaque projet est l’occasion de sensibiliser, de faire mieux, et surtout de continuer à apprendre avec un marché qui change. Nous sommes dans une économie de la connaissance : plus on partage, plus on grandit.
Quelles sont les initiatives et démarches que vous considérerez comme prometteuse face aux enjeux écologiques et pourquoi ?
Au risque de me répéter : le biomimétisme et toute démarche plus large d’innovation bio-inspirée. Cela booste la mise en œuvre de vision holistique à même de mettre en marche l’ensemble des parties prenantes d’un projet, d’autant plus que cela confère un récit collectif enthousiasmant, et qui invite donc à “faire ensemble”.
Prenons pour exemple l’enjeu du confort thermique, thème d’actualité. Bien que le mois de mai 2024, fasse partie des plus pluvieux qui aient été enregistrés en France, c’est surtout l’absence de soleil qui l’a caractérisé. Si ce déficit de soleil pèse sur le moral, son retour peut aussi y nuire. En effet, l’augmentation des températures induite par le dérèglement climatique accroît le risque d’îlots de chaleur urbain et la dégradation de la qualité de vie des urbains. La chaleur excessive intensifie les besoins en climatisation, entraînant une consommation d’énergie accrue et des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, ce qui alimente un cercle vicieux. De plus, les surfaces bétonnées et asphaltées des villes absorbent et retiennent la chaleur, exacerbant les températures élevées. On le sait, les canicules seront, d’ici 2050, deux fois plus fréquentes et/ou intenses avec pour conséquence d’augmenter les risques sanitaires (crampes, déshydratation, problèmes respiratoires, ...), et tout simplement dégrader la vie sociale, donc le moral des troupes.
Avec la raréfaction des ressources, il est urgent d’innover de manière sobre et aussi « low tech » que possible pour répondre aux trois enjeux qui sont au cœur de la transition climatique de nos villes : atténuation, adaptation, et optimisation des économies circulaires.
Pour que nos villes deviennent plus résilientes et agréables à vivre en été, il est essentiel d’adopter une approche systémique, où l’urbanisme, l’architecture et l’aménagement paysager collaborent pour créer des environnements intégrés et harmonieux. L’intégration de toitures végétalisées, de façades réfléchissantes et de couloirs verts ne sont que quelques-unes des stratégies inspirées par la nature. Et c'est dans cette perspective que le biomimétisme prend tout son sens, en nous offrant des solutions innovantes et respectueuses de l’environnement pour affronter les défis climatiques actuels et futurs. En s'inspirant des mécanismes et stratégies développés par les organismes vivants au fil de millions d'années d'évolution, le biomimétisme permet aux concepteurs d’innover pour améliorer notre quotidien urbain, afin de favoriser le confort d’été, à la fois « indoor » et « outdoor ».
En imaginant nos villes comme des entités vivantes, nous pouvons aller plus loin que réintégrer la nature en leur sein, pour que ce soient les villes elles-mêmes qui se réintègrent aux grands cycles de la nature. Et ainsi prendre le meilleur de ce que le soleil a à nous offrir, sa lumière, son énergie vitale, et qu’il reste ainsi notre meilleur ami pour longtemps.
Si vous étiez nommée responsable de la transformation durable du secteur de l’immobilier, quel serait votre plan d’action, quels en seraient les axes principaux à mettre en place et pourquoi ?
Mon plan d'action pour la transformation durable du secteur de l'immobilier comprendrait trois axes principaux axés sur l'éducation au climat, les collaborations interdisciplinaires et la lisibilité pour les consommateurs :
- Éduquer au climat : il est essentiel de sensibiliser les acteurs du secteur de l'immobilier et le grand public aux enjeux climatiques et aux actions à mettre en place pour réduire l'empreinte carbone. Or force est de constater que nous faisons face à un « illettrisme climatique », un réel enjeu économique et de santé publique, car non-sachants, les gens sont incapables de faire la part des choses dans les messages trop souvent alarmistes qui leur sont donnés.
- Forcer les collaborations interdisciplinaires et intersectorielles : Pour accélérer et réussir cette transition vers un secteur immobilier plus durable, il est essentiel que les professionnels de l'immobilier s'inspirent de toutes les composantes de la ville et collaborent avec d'autres secteurs et disciplines. L’Université de la Ville de Demain, Spin-off de la Fondation Palladio, tend vers cet objectif. J’ai eu la chance cette année d’intégrer le programme Anticipations créé par J.C. Fromantin, le Maire de Neuilly, qui répond tout à fait à cet enjeu. Il faut démultiplier ces initiatives.
- Rendre l'immobilier plus lisible pour les consommateurs : il est crucial de rendre les informations sur les caractéristiques environnementales et sociétales des biens immobiliers, plus accessibles et compréhensibles pour les consommateurs, afin de les aider à faire des choix plus responsables.
Au contraire, quelles seraient les actions à bannir immédiatement ?
Une action à bannir immédiatement serait de continuer à fonctionner en silo. Tant au niveau métier, c’est-à-dire tout au long de la chaîne de valeur de l’immobilier, qu’au niveau des compétences internes.
Au niveau de la maîtrise d’œuvre, le fonctionnement en maquette numérique partagée à beaucoup aidé le « désilotage ». Il faut trouver comment en faire de même au niveau de la chaîne globale, pour le bien des projets et pour un meilleur partage de la valeur donnée en l’amont, aujourd’hui trop récupérée en fin de course... Cela permettra de mieux valoriser la partie « conception » qui encore une fois compte majoritairement dans la valorisation bas carbone d’un projet in fine.
Au niveau interne aux entreprises, cela passe par deux choses : plus de dialogue entre compétences qui sera facilitée par des organisations à taille plus humaine. Comme les ruches ou les fourmilières ont des tailles critiques en termes de population à ne pas dépasser, auquel cas elles se démultiplient naturellement par essaimage, je crois qu’il y a des tailles à ne pas dépasser, et/ou certains seuils de croissance qui nécessitent de se réorganiser pour créer des « boites » dans la « boite » toujours à taille humaine, à même de maintenir une forme d’agilité essentielle à la durabilité. Pour que le politique ne l’emporte pas. L’écologie est tout sauf une affaire politique...
La question de la fin, à quel acteur donneriez-vous la parole pour s’exprimer sur les enjeux du mieux construire ? Des thèmes particuliers sur lesquels il devrait s’exprimer selon vous ? Pourquoi lui, elle ?
Dans le cadre des enjeux du mieux construire, je donnerais la parole à la nature elle-même. Les petits constructeurs de l'environnement tels que les oiseaux, les castors et les abeilles peuvent nous enseigner des leçons précieuses sur la construction écologique, l'utilisation de matériaux locaux et durables, la régulation des écosystèmes et la conception de structures efficaces et économes en ressources. Leur intelligence et leur habileté à créer des habitats robustes et confortables tout en favorisant la biodiversité et en régulant les conditions environnementales sont des exemples inspirants pour les architectes et urbanistes. En écoutant et observant ces petits constructeurs de la nature, nous pourrions trouver des solutions innovantes et respectueuses de l'environnement pour améliorer la façon dont nous construisons nos habitats humains. Certains scientifiques dont les travaux portent sur ces enjeux sont de véritables traducteurs de la nature. Gilles Bœuf en fait partie.
